The Substance : horreur viscérale et critique sociale
Dans l’univers du cinéma, certains films repoussent les limites de ce que nous considérons comme acceptable ou supportable. The Substance, dernier bijou de la réalisatrice française Coralie Fargeat, fait partie de ces expériences cinématographiques radicales. Ce drame viscéral et intransigeant d’horreur corporelle explore en profondeur les pressions sociales, la tyrannie des standards de beauté et l’impact dévastateur qu’ils peuvent avoir sur le psychisme féminin.
Au cœur de ce film, on trouve la performance captivante de Demi Moore, qui incarne Elizabeth Sparkel, une ancienne starlette hollywoodienne tentant désespérément de rester pertinente dans une industrie obsédée par la jeunesse. L’interprétation de Moore est un véritable tour de force, naviguant avec brio dans le paysage émotionnel complexe d’une femme confrontée aux réalités cruelles du vieillissement et à la quête incessante de perfection physique.
La descente aux enfers
Le film s’ouvre sur une séquence brillante qui donne le ton de ce voyage sombre. On assiste à la pose de l’étoile d’Elizabeth sur le Hollywood Walk of Fame, un moment de triomphe vite éclipsé par l’amère réalité de sa carrière déclinante. Les années passent, et l’étoile d’Elizabeth se ternit, tout comme son image publique et son estime d’elle-même.
La spirale infernale s’accélère lorsqu’Elizabeth surprend les remarques cruelles et humiliantes d’un dirigeant de chaîne de télévision, incarné par un Dennis Quaid délicieusement malveillant. Ces mots, venimeux, brisent le peu de confiance qui lui restait et la précipitent dans une quête désespérée pour retrouver sa gloire passée.
Ce qui suit est une plongée saisissante dans les abysses du désespoir, alors qu’Elizabeth se consume dans une recherche obsessionnelle de transformation physique. La réalisation de Fargeat est magistrale : par des gros plans étouffants et des angles déformés, elle retranscrit avec brio le chaos intérieur du personnage et plonge le spectateur dans un malaise palpable.
The Substance : un remède tordu
Au centre de cette histoire se trouve la mystérieuse “substance”, une concoction interdite qui promet de rendre à Elizabeth son apparence juvénile. C’est là que le film bascule pleinement dans l’horreur corporelle, explorant l’abject et l’indicible.
La séquence où Elizabeth s’injecte le produit est inoubliable : violente, dérangeante, mais d’une beauté hypnotique.
Le travail sonore et le montage, minutieusement orchestrés, amplifient l’assaut sensoriel et plongent le spectateur dans une expérience viscérale. Les effets pratiques, impressionnants, donnent vie à une transformation à la fois spectaculaire et profondément dérangeante.
Mais cette substance ne transforme pas seulement le corps : elle corrompt l’esprit. À mesure qu’Elizabeth se laisse dévorer par la promesse d’une jeunesse éternelle, la frontière entre son ancien “moi” et son nouvel “idéal” s’efface, menant à une réflexion glaçante sur l’identité et l’acceptation de soi.
La tyrannie des standards de beauté
Au fond, The Substance est une critique féroce de la tyrannie des standards de beauté et de leurs ravages sur l’estime de soi des femmes. Le scénario de Fargeat explore le sexisme et l’âgisme omniprésents dans l’industrie du divertissement, ainsi que l’autodépréciation que ces pressions imposent.
Elizabeth Sparkel incarne parfaitement cette tragédie. Star hollywoodienne déchue, elle a été conditionnée à croire que sa valeur se résume à son apparence. Sa descente dans l’autodestruction est bouleversante et révoltante, rappelant les dégâts causés par des attentes irréalistes et cruelles.
Le choix de confier ce rôle à Demi Moore est un coup de génie. L’expérience personnelle de l’actrice avec les diktats de l’industrie ajoute une dimension d’authenticité poignante à son interprétation. Moore livre ici une performance d’une intensité rare, à la fois vulnérable et puissante.
L’émergence de “Sue”
Au fil de la transformation d’Elizabeth apparaît Sue, une figure énigmatique et troublante, interprétée par Margaret Qualley. Elle incarne l’idéal de perfection que poursuit désespérément Elizabeth.
Son introduction à l’écran, lors de scènes de fitness filmées avec une froide objectification, réduit Sue à un assemblage de parties désirables plutôt qu’à une personne entière. Ce choix délibéré de mise en scène illustre parfaitement la déshumanisation du corps féminin dans le regard sociétal.
La performance physique de Qualley est remarquable : derrière l’assurance apparente de Sue perce une noirceur glaçante.
La relation toxique qui s’installe entre Elizabeth et Sue devient une danse macabre entre autodestruction et quête d’identité, offrant une réflexion puissante sur la compétition imposée aux femmes par des standards inatteignables.
Aux confins du “cinéma extrême”
Un aspect fascinant de The Substance est son inscription dans le mouvement du “cinéma extrême” français, longtemps dominé par des cinéastes masculins. Coralie Fargeat y appose une empreinte féminine audacieuse et subversive, en détournant les codes du genre.
La photographie du film, inspirée par un sens esthétique millimétré, évoque par moments Stanley Kubrick – notamment Orange mécanique – sans jamais sombrer dans le simple hommage. Macros saisissants, couleurs saturées, angles déstabilisants : tout concourt à créer une immersion hypnotique et dérangeante.
Mais au-delà de la prouesse visuelle, Fargeat recentre le récit sur l’expérience féminine et dénonce le regard masculin qui imprègne ce genre cinématographique. Le résultat est un film aussi somptueux que dévastateur, qui s’impose comme un manifeste contre l’objectification des femmes.
Un final qui divise
Le dernier acte de The Substance alimente les débats. Les vingt dernières minutes, surréalistes et fantasmagoriques, rompent avec la tension méthodiquement construite jusque-là. Certains y voient une rupture de ton perturbante ; d’autres, un choix narratif nécessaire pour illustrer la folie absolue dans laquelle sombre Elizabeth.
Ce final, aussi viscéral que perturbant, agit comme une conclusion logique à cette plongée dans les abysses de l’obsession et du rejet de soi. Il laisse le spectateur secoué, mais aussi invité à réfléchir sur les conséquences tragiques de la quête impossible de perfection.
Une œuvre viscérale et inoubliable
Qu’on adhère ou non à son dénouement, The Substance s’impose comme un film radical et incontournable, qui confronte le spectateur aux zones d’ombre de la psyché humaine. La mise en scène audacieuse de Fargeat et les performances magistrales de Demi Moore et Margaret Qualley font de cette œuvre une référence du cinéma contemporain provocateur.
C’est un film qui marque durablement, qui interroge nos propres perceptions de la beauté, du corps et de l’identité. Une expérience cinématographique à la fois éprouvante, captivante et nécessaire.



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